En hommage à Monsieur Francis AUMERAND, historien et passionné de l'histoire du village. Notre texte est tiré de son livre "Petites chroniques Sauveterroises".

   Il faudrait être d'un naturel particulièrement optimiste pour penser écrire un jour l'histoire d'un village tel que Sauveterre du Gard. Situé sur l'un des plus importants axes de circulation et de pénétration de France, notre village a subi tellement d'invasions, d'incursions d'armées et de bandes pillardes, d'innondations et d'épidémies, que son existence chaotique manque de l'unité et de la continuité dont bénéficient nombre de communes moins exposées. Les traces du passé sont rares et les archives disséminées entre Gard et Vaucluse.

Tout ce qu'on peut espérer saisir est une série de tranches d'Histoire qui, juxtaposées, peuvent constituer les "Petites chroniques sauveterroises". C'est dans le cadre de ces histoires que je voudrais vous présenter quelques hypothèses concernant l'origine du nom car, contrairement à des communes comme Pujaut, Les Angles ou même Roquemaure, l'explication de cette origine ne s'impose pas et donne lieu à de nombreuses supputations.

Aussi, à vous de choisir parmi les propositions suivantes celle qui vous paraîtra la plus plausible.

Première version : La première m'a été contée il y a une soixantaine d'années par un ancien du village qui la tenait - me disait-il - de son grand-père. Pour lui et pour son grand-père, le nom de Sauveterre était lié au refuge que pouvait trouver dans le secteur d'Aguilhon les protestants en butte aux persécutions des autorités du Comtat.

Pour rendre son récit plus crédible, il me parlait du fameux souterrain qui reliait alors Aguilhon à Châteauneuf-du-Pape, souterrain qui fait partie des vieilles légendes sauveterroises et qui fait encore rêver certains de nos concitoyens. Pour enjoliver le tout, les Templiers eux-mêmes étaient appelés à la rescousse afin d'apporter au récit une touche supplémentaire de mystère. Hélas, cette belle histoire perd toute consistance lorsque l'on sait que l'on n'a jamais retrouvé la moindre trace d'un tunnel passant sous le Rhône. Ensuite, l'on voit mal des protestants assez fous pour vennir chercher refuge dans une région peuplée à 100% par des catholiques. Mais enfin et surtout, nous savons que Sauveterre portait déjà ce nom en 1195, alors que le protestantisme n'a pris naissance que trois siècles plus tard ! Fernand Raynaud n'aurait manqué de nous dire : "Y'a comme un défaut !".

Deuxième version : La même remarque peut être faite à propos d'une seconde version ; mais là, aucune excuse pour l'auteur M. Sagnier, érudit, membre de l'Académie de Vaucluse et auteur de nombreux articles. Cet excellent historien a publé en 1896, dans les Mémoires de l'Académie, un article sur Villeneuve qui traite, entre autres, de l'ordonnance du duc d'Anjou confirmant une ordonnance du roi Jean le Bon de 1362. Je ne résiste pas au plaisir de vous présenter quelques lignes de cet article :

"Si quelque non régnicole étranger (étranger au royame et au Comtat) vient s'établir à Villeneuve ayant, par cas fortuit ou dans une rixe hors du royaume, fait des blessures et même donné la mort, il ne sera pas poursuivui, à moins qu'il n'y ait partie plaignante, auquel cas, il sera fait justice, mais seulement civilement... Du reste, de cette manière, les mauvais débiteurs, les aventuriers brouillés avec la justice à Avignon et dans le Comtat, n'avaient ainsi qu'à passer le Rhône ; ils étaient certains de trouver l'impunité et un asile assuré. C'est de là que le village de Sauveterre, entre Villeneuve et Roquemaure et vis-à-vis Châteauneuf-du-Pape, à tiré son nom".

Nous serions naturellement enclins à nous incliner devant l'érudition de l'auteur, mais comme nous l'avons vu, nous connaissons ce nom de Sauveterre depuis 1195, alors que l'ordonnance n'a été signée qu'environ cent soixante ans plus tard. Encore une explication à jeter à la corbeille à papier.


Troisième version : Peut-être aurons-nous plus de chance avec la troisième version ? Sachant qu'en pays d'oc, une sauvo terro est une cloche que l'on sonne pour guider les marins perdus en mer ou pour ramener au bercail les voyageurs égarés en montagne dans les tourmentes de neige, ou peut être tenté de penser que le clocher de Sauveterre pouvait avoir rempli ce rôle. Certains n'hésitent pas à l'affirmer. Mais en dehors des bateliers du Rhône, qui aurait-elle pu guider ? Or, ces derniers connaissaient le fleuve sur le bout des doigts et même par temps de brouillard, on voit mal ce que le tintement d'une cloche aurait pu leur apporter.


Quatrième version : Je suis pour ma part, resté attaché à une autre version, beaucoup plus simple et qui me paraît nettement plus vraisemblable. Jusqu'à une date récente, le Rhône était un fleuve sauvage qui, pendant ses crues, dévastait régulièrement la Valergue. Son lit se déplaçait sans cesse, détruisant une île, en reconstituant une autre, emportant les habitations, le bétail, le matériel, et parfois même les habitants. Pour ces derniers, obligés plusieurs fois dans l'année de fuir la fureur des eaux, le village perché sur son rocher de Cadarache constituait le refuge idéal et méritait bien son nom "Sauve terre". C'est cette version que les créateurs du blason de Sauveterre ont privilégiée en campant une montagne plantée d'oliviers et surmontée d'une étoile au-dessus d'ondes représentant les flots du Rhône.

Cinquième version : Toutefois, la découverte d'un document auquel j'ai déjà fait allusion plus haut, m'a incité à envisager une autre possibilité. La Gallia Christiana Novissima nous apprend qu'avant l'an 1200 existait déjà sur notre terroir une église appelée "Sancti Salvatoris de Torcularibus" (église de Truel). Lorsque l'on sait que Truel est situé à seulement une paire de kilomètres de Cadarache sur lequel était perché le hameau, il est permis de se demander si cette église de Truel n'aurait pas été l'église primitive de Sauveterre ; il n'y a pas très loin de Salvatoris à Salvaterra.

Pour des raisons évidentes de commodité, une nouvelle église aurait été construite plus tard sur le plateau, à son emplacement actuel. Nous savons que les deux églises coexistaient depuis 1200. Cette seconde église, du titre de Sainte-Croix et Saint-Jean-Baptiste est mentionnée pour la permière fois en avril 1195, lorsque Rostang, évêque d'Avignon, échange avec Guillaume, abbé de Saint-André de Villeneuve, les églises de Rochefort, Tavel et Sauveterre contre Gigognan, Aldreria et les droits sur le monastère de Pont-de-Sorgue. Précisons que pendant le Moyen Age, l'appellation de Sauveterre s'appliquait à l'église ainsi qu'au village, mais en aucun cas aux terres de la vallée qui, sous le nom de Valergue, dépendaient des seigneurs de l'Hers et ont toujours été désignées sous ce nom jusqu'à la Révolution.

Voici donc les quelques hypothèses entre lesquelles vous pouvez choisir celle qui sera la vôtre ! Ceci naturellement jusqu'à ce que de nouveau documents nous apportent davantage de lumière. En Histoire, rien n'est jamais fixé définitivement...