En hommage à Monsieur Francis AUMERAND, historien et passionné de l'histoire du village. Notre texte est tiré de son livre "Petites chroniques Sauveterroises".


Ami lecteur, que tu sois un vieil habitant de Sauveterre-du-Gard, un nouvel arrivant ou tout simplement un promeneur épris de pittoresque, un amoureux des vieilles pierres ou bien un badaud de l’Histoire, que tu cherches tes racines ou que tu saches que « l’authentique est une plante qui ne pousse que dans les livres » (Marcel Pagnol), veux-tu faire avec moi une balade par l’esprit, à défaut de la faire sur tes jambes, « pedibus cum jambis » ? Tu es venu avec ta famille, madame et le petit ? C’est encore mieux ! Etes-vous prêts ? Zou, suivez-moi !

A tout seigneur tout honneur

Notre balade débute tout naturellement par le château de Montsauve.

Son histoire se confond avec celle des familles qui l’habitèrent. On peut distinguer deux grandes périodes ; celles des « grandes familles » : les de Thierry avant 1750, puis les de Roux qui y résidaient pendant la Révolution, les de Cambis, les Raousset de Boulbon ; puis celle des artistes : le peintre Bernardy de Valernes en 1846, puis au début du XXe siècle Alice Panot, artiste lyrique, sa fille Marie-Thérèse Pierrat de la Comédie française et son gendre Guirand de Scévola qui attirèrent à Sauveterre nombre d’artistes et de personnages illustres. C’est à l’époque où Sauveterre reçoit des écrivains, des chansonniers, des peintres, des sculpteurs, des comédiens, des félibres, jusqu’au président de la République, M. Deschanel en personne !

château de Montsauve

De Montsauve, gagnons l’Ancienne Mairie, bâtiment qui, à la naissance de la commune, hébergera la mairie, l’agence postale, les écoles (qui occupèrent l’emplacement de l’ancien moulin à huile). La tour carrée surmontée d’un campanile fut élevée en 1880 pour recevoir l’horloge et sa cloche qui dialogue toujours avec celle de l’église.

Ancienne mairie de Sauveterre

En remontant la petite route de Pujaut

nous laissons à notre gauche la maison qui abrita une famille de peintres réputés les Malclès :

Laurent, Laure et surtout Jean Denis, peintre mais aussi illustrateur et décorateur reconnu. Il était célèbre pour ses dessins de tissus, ses affiches, ses illustrations de livres (Maupassant, Daudet, Mérimée…) mais surtout pour ses décors et costumes de théâtre (notamment pour les pièces de Jean Anouilh). Celui-ci disait de lui : « Malclès rend les rêves solides. C’est un extraordinaire talent, bien rassurant pour les poètes ».

En deux minutes, nous atteignons la Simplette, petite villa qui eut l’honneur d’héberger Jean Marsac, le célèbre chansonnier, et où il accueillait ses nombreux amis et complices des cabarets parisiens. C’est dans son jardin que fut mise à jour par hasard, en 1958, une sépulture antique. La lance en fer et les poteries qu’elle renfermait (quatre patères ou coupes à libations, deux bols à vernis noir, les fragments d’un vase à vernis rouge et de plusieurs amphores) permettent de dater cette tombe de la première phase de la Tène III, c’est-à-dire entre 90 et 60 avant J.-C, au début de l’implantation romaine dans la Provincia Romana. Le défunt était un guerrier celte – peut-être le chef d’un petit clan – enseveli avec ses armes, symboles de son statut social, et avec assez de bon vin et de vaisselle fine pour lui permettre de boire et de banqueter avec ses amis dans l’Autre-Monde. Nous ignorons par contre si ce Gaulois du Midi était un Volque ou un Cavare…

les Malclès

Ami lecteur, découvre-toi et salue ! Ce Gaulois est le premier Sauveterrois !

Rejoignons la place Jean-Pierre Gras, écrivain, félibre, peintre paysagiste et surtout sculpteur qui résida plusieurs années à quelques pas de la place qui porte son nom. Il était le fils de Félix Gras, l’auteur des Rouges du Midi. Je le revois encore habillé comme un berger avec son grand manteau et son vaste chapeau, descendant à pas lents vers le village…

Prenons maintenant le chemin du château d’eau au-dessous duquel nous apercevons les restes d’un abri sous roche. De nombreux abris sous roche existaient sur le versant de Carnas : ils furent d’abord occupés au Paléolithique, lorsque les hommes, chasseurs et cueilleurs semi-nomades, aménageaient ces abris naturels pour leur campement d’hiver. Abandonnés au Néolithique, quand l’homme devenu sédentaire construisit les premières maisons en dur, ils servirent à nouveau au moment des grandes invasions, entre le IIIe et Ve siècles : les habitants y trouvaient refuge avec leurs maigres biens en cas de danger. La plupart de ces abris se sont effondrés au fil des siècles, ou bien ont disparu lors de l’exploitation des carrières. Ainsi les Avignonnais sont-ils venus en 1525 prendre livraison de deux pleines charretées de « pierres de bombardes » pour leur artillerie… Quant aux rares habitats troglodytiques qui subsistent à l’époque moderne, les paysans les utilisaient naguère comme resserre à outils, garde-manger ou cave à vin.

Par un petit chemin bucolique, noyé dans la verdure – Prenez garde à la salsepareille, madame ! Ne bougez pas, je vais vous décrocher… Là, c’est bien ! – rejoignons sur le plateau la croix Beauchamp, croix érigée là par l’un des premiers maires de Sauveterre, Emmanuel Soulier, quand sa femme fut atteinte de la fièvre de Malte. Oui, vous avez raison, madame : c’est un bel exemple de piété conjugale et certains devraient en prendre de la graine…

De là, approchons-nous de la ferme d’Aguilhon. Au risque de te décevoir, ami lecteur, je précise que contrairement à la légende, elle n’a jamais appartenu aux Templiers ; de même, aucun souterrain ne la relie à Châteauneuf-du-Pape. Mais dans une région autrefois couverte de forêts, à proximité de l’antique chemin reliant Villeneuve à Roquemaure, chemin où les attaques de brigands n’étaient pas rares, la situation d’Aguilhon était bien de nature à alimenter les légendes les plus fantaisistes, et une aura fantastique a toujours nimbé cette bâtisse mystérieuse – d’ailleurs, rien que d’en parler, j’en ai les trois-sueurs !...

Sur notre gauche, à Pujaut, dans le quartier des Plaines, s’étendent les vignes où, en 1864, le phylloxéra fit son apparition avant de dévaster les vignobles du monde entier.

Dirigeons nous maintenant vers le grand chêne vert, plus que centenaire, pour rejoindre le Roc trouca (Rocher troué) perché sur les pentes caillouteuses au-dessus du hameau de Truel – lieu de promenade du dimanche où Placide Cappeau situe une scène entre les deux héros de son roman Le Château de Roquemaure.

Plongeons ensuite en direction de l’Ausidou et de son cimetière bucolique, par le vallon du Mas san Pan (Mas san pain), où jadis l’on n’était pas réputé faire ripaille. Au passage, l’architecture insolite de la maison du mime Séverin attire notre attention, avec l’extraordinaire atelier de peinture qui la domine. Tant et tant d’artistes sont venus ici pour se reposer ou travailler dans ce cadre idyllique, accueillis par le mime puis, des années encore après son décès, par son épouse Maya…

Mas san pain

De là, prenons le chemin des Cigalons, du nom d’une petite troupe théâtrale très populaire qui animait les soirées sauveterroises avant et pendant la dernière guerre. Nous passons maintenant devant la maison qu’occupa le Prix Nobel de littérature Roger Martin du Gard, résidence champêtre encore habitée par la famille de l’écrivain.

Nous arrivons enfin au promontoire de Cadarache : c’est au sommet de ce rocher brûlé du soleil et battu du mistral que l’antique village de Salva Terra, cité pour la première fois en 1195, se nicha pendant plus de 3 siècle. Aïe ! Prenez garde aux chardons : ils piquent !

Ils s’agissaient alors d’un hameau légèrement fortifié : un mur, qui certes n’aurait pas résisté à une attaque par une armée régulière, le protégeait des petites bandes de pillards, maraudeurs, caïmans et autres malfaisants qui ravageaient la campagne. De ce promontoire, les habitants pouvaient surveiller le Rhône qui alors battait le pied même de leur rocher, les bateaux qui y naviguait, ainsi que tous les mouvements dans la plaine. Ils pouvaient ainsi cultiver dans une relative sécurité leurs terres du plateau ou de la Valergue, prêts à se replier sur leur piton à la première alerte… Ils étaient aussi à l’abri des dangereux caprices du Rhône et des fièvres paludéennes qui sévissaient dans la plaine humide et marécageuse.

Du haut de ce promontoire, les habitants purent assister, en spectateurs ou en victimes, à toutes les invasions de l’Histoire qui déferlèrent au cours des siècles par la vallée du Rhône, depuis les incursions des routiers jusqu’aux campagnes du baron des Adrets…

Lorsque l’insécurité qui régnait dans la région obligea les Sauveterrois à se replier à Roquemaure en 1442, il ne restait plus qu’une poignée de personnes. Ce fut la mort de Sauveterre : les murs furent rasés et leurs pierres employées à construire les remparts de Roquemaure. Ce n’est qu’au XVIIe siècle que le village va se reconstituer autour de sa vieille église reconstruite…

Aujourd’hui, une citerne presque comblée est le seul vestige de cette époque lointaine.

Faites attention au petit, qu’il ne tombe pas
dans le puits !

De ce belvédère, la vue est magnifique et s’étend sur la plaine de la Valergue et sur le Rhône dont les flots argentés brillent au soleil comme les écailles d’une alose. Sur l’autre rive se profile le donjon de Châteauneuf et tout au fond, le Ventoux et les Dentelles de Montmirail…

la plaine de la Valergue

Mais il est temps de nous diriger vers l’église par le chemin des Oliviers, où nous admirons au passage la croix rénovée en 1999 par la municipalité.

L’église romane construite au XIIe siècle sous le vocable de Saint-Jean-Baptiste a été gravement sinistrée à partir de 1442, lorsque les habitants de Sauveterre ont quitté leur rocher pour se réfugier à Roquemaure. Au retour de la population, au début du XVIIe siècle, l’église était ruinée et le restera encore pendant cinquante ans.

Il faudra attendre les années 1650 pour que murs et toitures soient enfin relevés en 1660 pour que le sol de terre battue soit dallé. Le cimetière qui s’étend devant sa porte restera en service jusqu’à son transfert sur l’emplacement actuel, à l’Ausidou, en 1845.

La cloche « Angélique » a été baptisée en grandes pompes le 19 septembre 1852. Saviez-vous que sa marraine était la marquise Angélique de Cambis ?

Rejoignons le château de Varenne et admirons cette bâtisse d’une sobre beauté, au sein de son magnifique parc ombragé de cèdres plusieurs fois centenaires

Probablement construit au début du XVIIe siècle, son existence est avérée dès 1676 lorsqu’il est occupé par M. Louis Puy, arrière grand-père de Guillaume Puy qui sera maire d’Avignon. L’héritière de ce dernier, sa fille Antoinette, épousera le marquis de Cambis d’Orsan, Pair de France, qui héritera à son tour du château. Ainsi, à partir de 1846, les deux châteaux de Sauveterre appartiendront-ils à la même famille, au moins jusqu’en 1860. C’est au début du XXe siècle qu’un ancien préfet du Gard, Paul Maitrot de Varenne l’achètera et qu’on le désignera sous son nom actuel. Occupé par les Allemands au cours de la dernière guerre, il abritera momentanément les écoles avant d’être transformé en hôtellerie.

Non, Madame, le fait d’avoir deux châteaux dans notre village ne signifie pas que nous ayons eu deux seigneurs : en fait, il n’y a jamais eu de seigneurie de Sauveterre.

le château de Varenne

Avant d’être rattachée à Roquemaure, la paroisse de Sauveterre, comme tout le terroir de la Valergue, relevait des seigneurs de l’Hers qui, eux-mêmes, en rendaient hommage à l’évêque d’Avignon. Et à l’époque du renouveau du village, au XVIIe siècle, quand fut édifié le château de Montsauve, les quarante hectares de son domaine étaient constitués de terres roturières : bien que plusieurs des familles ayant possédé Montsauve aient été bonne et authentique noblesse, aucune n’a pu revendiquer de droits seigneuriaux à Sauveterre.

Ce fait que – toute politesse mise à part – le Sauveterrois n’a jamais eu à tirer son chapeau devant quiconque !

Qu’est-ce qui t’intrigue ainsi, ami lecteur ? Ce chemin délicieusement ombragé qui sinue entre maisons et jardins, ou bien son nom : le chemin des Lipo-sartan ? Il y a bien longtemps, « au temps où Berthe filait », vivait ici une famille très pauvre, dont les membres étaient réputés ne pas manger à leur faim ; d’après leurs voisin, faute de nourritures plus substantielles la famille se contentait tour à tour de lécher le fond de la poêle, d’où leur nom de Lipo-sartan (léche poêle).

Si tu m’en crois, ce n’étaient que de mauvaises langues (les voisins, pas les Liposartan)… Mais revenons à nos moutons !

Ami lecteur, tu peux conclure cette balade par une agréable promenade à travers la Valergue, cette riche plaine alluviale si propice à la culture : vignes, champs de blé, vergers, pommes de terre, primeurs, garance pour la teinture, muriers pour l’élevage du ver à soie… Elle n’a pas toujours été telle que tu la vois aujourd’hui : la Vallea larga (Grande Vallée) des Gallo-Romains puis la Vallerica des Carolingiens était tantôt très large et tantôt réduite à quelques dizaines d’hectares, quand les flots du Rhône léchaient les rochers calcaires de Cadarache, de Fours et de la Caramude. Au cours d’une génération, sa surface pouvait doubler ou se réduire de moitié selon les caprices d’un fleuve encore sauvage et indompté. Aussi était-elle couverte de bras morts, d’étangs, de marécages et autres garouyas dont certains lieux-dits perpétuent la mémoire…

Comment, ami lecteur, tu ignores ce qu’est un garouyas ? Ta maman ne t’as donc jamais dit : « Maintenant que tu es habillé du dimanche, ne vas pas patouyer dans un garouyas avec les autres galapins du village » ? c’est-à-dire : ne vas pas patauger dans un bourbier avec les autres sauvageons de la cité (traduction libre). Non, jamais ? Ô pauvre ! C’est toute une éducation à refaire !

Si toutefois tu n’es pas trop fatigué et si madame et le petit ne sont pas trop las, je t’engage vivement, puisqu’il fait si beau, à pousser ta promenade au sud de notre village, jusqu’au paisible hameau de Four. Tu y trouveras une simple chapelle, modeste vestige du monastère de Bénédictines fondéz en 1239 par Mabille d’Albaron. Cette abbaye, située au milieu des bois de Fours, avait été construite sur le site d’une antique église carolingienne, elle même implantée à l’emplacement probable d’un ancien temple païen. Comme tu le vois, ami lecteur, il n’y a rien de nouveau sous le soleil…

Autour de ce temple, une villa gallo-romaine étendait ses bâtiments et ses vignobles. Des fours qui ont donné son nom au hameau permettraient alors de fabriquer les amphores nécessaires au commerce des vins produits dans le domaine. Que veux-tu ? Nos ancêtres déjà rendaient un culte fervent à la Dive Bouteille et nous en avons les tannins dans les veines comme les peuples marins ont le sel dans le sang…

Au therme de cette balade, ami lecteur, il me revient en mémoire ce que me disait un ancien du village il y a une soixantaine d’années : « A Sauveterre il n’y a rien d’intéressant à voir, c’est un village qui n’a pas d’histoire ». Qu’aurait-il pensé s’il avait pu faire aujourd’hui cette balade avec nous ?

vestige du monastère de Bénédictines fondé en 1239